Au cri unanime de
l'humanité souffrante: «Bonheur où es-tu?», un
prédicateur célèbre répondait: «Le bonheur, je l'ai cherché dans la vie
élégante, dans l'étourdissement des bals et des fêtes; je l'ai cherché
dans la possession de l'or, dans les émotions du jeu, dans l'intimité
des hommes célèbres, dans tous les plaisirs des sens et de l'esprit...
La plupart des hommes se trompent sur la nature même du bonheur; et ils
le cherchent là où il n'est pas... On aime le bonheur, et Jésus-Christ,
seul bonheur possible, n'est pas aimé... Ô mon Dieu! est-ce possible?
l'Amour n'est pas aimé! Pourquoi? parce qu'il n'est pas connu. On
étudie tout, excepté Lui... Ô vous tous qui m'écoutez, faut-il donc que
ce soit un Juif qui vienne supplier des chrétiens d'adorer
Jésus-Christ?... Mais, dira-t-on: «Je ne crois pas en Jésus-Christ». Et
moi non plus je n'y croyais pas, et c'est précisément pour cela que
j'étais malheureux!»
Ce prédicateur se nomme Hermann Cohen; il
est né le 10 novembre 1821 à
Hambourg. Sa famille occupe un rang distingué parmi les quelque vingt
mille Juifs de la ville. En grandissant, le petit Hermann se montre
pieux. Il aime à chanter en allemand les cantiques et les Psaumes.
D'instinct, il n'est pas à l'aise dans une société sécularisée: il
préfère le mystère qui entoure les rites vénérables encore conservés,
par exemple la lecture de la Bible en hébreu sur un rouleau de
parchemin enveloppé dans une étoffe magnifique.
Hermann et son frère aîné, Albert, sont
envoyés dans un collège
protestant. Leur appartenance à la communauté juive leur attire bien
des sarcasmes. Mais, doué d'une intelligence supérieure, Hermann se
place bientôt à la tête de sa classe, estimé de ses maîtres et de ses
condisciples. Cependant, ses ressources intellectuelles sont bien
inférieures à son prodigieux don musical. Grisé dès le plus jeune âge
par le succès de pianiste qu'il remporte à Hambourg, son ambition ne
connaît plus de bornes. D'abord réticents, ses parents, préoccupés par
de graves revers de fortune, le laissent suivre son attrait pour la vie
d'artiste.
Il part bientôt pour Paris où il devient
l'élève préféré du virtuose
Franz Liszt (1811-1886). Les succès du jeune prodige de 13 ans
éblouissent les milieux mondains de Paris. Séduit par les utopies
révolutionnaires, Hermann devient en peu de temps, l'un des
propagandistes les plus zélés de l'abolition du mariage, de la terreur,
du partage des biens, des jouissances effrénées, etc. George Sand le
prend sous sa protection et lui insinue le venin de ses pires romans.
Subitement, Liszt s'enfuit en Suisse avec la
comtesse Marie d'Agoult.
Hermann décide de suivre son maître; il vit dans l'intimité de ce faux
ménage et trouve «sublime» le courage de cette femme «qui, pour suivre
sa passion, a tout quitté, sa maison, sa mère, son mari, ses enfants».
Déjà, il aspire au jour où il pourra lui-même inspirer une passion
capable de briser tant d'obstacles. De retour à Paris, il se laisse
prendre par la passion du jeu et accumule les dettes. Ses leçons de
musique lui procurent de l'argent et l'argent paie non ses dettes, mais
ses plaisirs. «Ma vie, écrira-t-il, fut alors un abandon complet à tous
mes caprices et à toutes les fantaisies. En fus-je plus heureux? Non,
mon Dieu! la soif du bonheur qui me dévorait n'en fut point étanchée».
«Tous les jeunes gens de ma connaissance vivaient comme moi, cherchant
le plaisir partout où il s'offrait, désirant avec ardeur la richesse,
afin de pouvoir suivre tous leurs penchants, satisfaire tous leurs
caprices. Quant à la pensée de Dieu, elle ne se présentait jamais à
leur esprit».
Le
tourment de Dieu
Cependant,
en fils d'Israël, il porte à son insu le tourment de Dieu. Mais ce
tourment, il l'éprouve avec sa vive sensibilité d'artiste qui l'emporte
sur la raison. Alors, écrira-t-il plus tard, «tout me réussit avec un
succès incroyable: le faubourg Saint-Germain m'adopta... toutes les
séductions du monde s'emparèrent de mon esprit... Toutefois, cette
existence si digne d'envie dans l'opinion de tant de gens, je n'avais
pas le temps d'y réfléchir et j'étais en réalité toujours inquiet». De
fait, il est esclave de ses passions mauvaises: «Oh, l'horrible
esclavage! Moi aussi, je l'ai éprouvé: j'étais bâillonné, enchaîné par
ces fers de forçat!... Je comprenais qu'il fallait rompre ces fers...
et je ne pouvais pas».
Il en est là, à 26 ans, lorsqu'un vendredi
du mois de mai 1847, le
prince de la Moskova le prie de bien vouloir le remplacer à la tête
d'un choeur d'amateurs, pour les solennités du Mois de Marie dans
l'église Sainte-Valère, à Paris. «J'acceptai, uniquement inspiré par
l'amour de l'art musical et la satisfaction de rendre un bon office.
Quand le moment de la Bénédiction du Saint-Sacrement fut arrivé, je
ressentis un trouble indéfinissable. Je fus, sans participation de ma
volonté, entraîné à me courber vers la terre. Étant revenu le vendredi
suivant, je fus impressionné absolument de la même manière et je fus
frappé de l'idée subite de me faire catholique».
Ressentant un attrait qui le ramène toujours
vers cette église, il a
l'occasion, peu après, d'assister plusieurs fois à la Messe, avec une
joie intérieure qui absorbe toutes ses facultés. Pour essayer de
comprendre le mystère qu'il découvre en lui, il prend contact avec un
prêtre catholique, l'abbé Legrand. Celui-ci l'écoute avec bienveillance
et douceur. Son accueil «fit tomber subitement l'un des préjugés les
plus solidement invétérés dans mon esprit. J'avais peur des prêtres!...
Je ne les connaissais que par la lecture des romans qui nous les
représentent comme des hommes intolérants, ayant sans cesse à la bouche
les menaces de l'excommunication... Et je me trouvais en présence d'un
homme instruit, modeste, bon, ouvert, attendant tout de Dieu et rien de
lui-même!»
Un
calme inconnu
Le
8 août suivant, se trouvant à Ems (Allemagne) pour donner un concert,
il assiste à la Messe dominicale dans la petite église catholique de la
ville. Au moment de l'élévation de la Sainte Hostie, il ne peut
contenir un flot de larmes. «Spontanément, comme par intuition, je me
mis à faire à Dieu une confession générale de toutes les énormes fautes
commises depuis mon enfance: je les voyais là, étalées devant moi par
milliers, hideuses, repoussantes... Et cependant, je sentis aussi, à un
calme inconnu qui vint répandre son baume sur mon âme, que le Dieu de
miséricorde me les pardonnerait, qu'il aurait pitié de ma sincère
contrition, de ma douleur amère... Oui, je sentis qu'il me faisait
grâce, et qu'il acceptait en expiation ma ferme résolution de l'aimer
par-dessus tout et de me convertir à Lui désormais. En sortant de cette
église d'Ems, j'étais déjà chrétien par le coeur...»
Pensant qu'il doit sa «conversion
eucharistique» à la Bienheureuse
Vierge Marie, il décide de l'honorer d'un culte tout spécial. Rentré à
Paris, il se met sous la conduite de l'abbé Legrand. Celui-ci
s'applique à discerner s'il s'agit d'un feu de paille ou d'un
changement de vie en profondeur; puis il met Hermann en rapport avec
l'abbé Théodore Ratisbonne, Juif converti, voué à l'oeuvre de
l'apostolat en faveur des Juifs. C'est dans la chapelle de cette oeuvre
Notre-Dame de Sion à Paris, qu'Hermann reçoit le Baptême, le 28 août
1847, en la fête de saint Augustin, choisi pour patron. Le 8 septembre,
il fait sa première Communion; bientôt, il communiera quotidiennement.
«Laissez-là
vos hochets!»
Hermann voudrait tout de suite dire adieu au
monde et entrer dans un
couvent, «pour s'y consacrer exclusivement au service du Seigneur»;
mais il a un monceau de dettes à rembourser, ce qui prendra deux ans.
Un après-midi de novembre 1848, il entre dans la chapelle des
Carmélites de la rue Denfert-Rochereau à Paris. Le Saint-Sacrement y
est exposé pour la nuit devant des adoratrices. Là, lui vient l'idée de
fonder «une association ayant pour but l'exposition et l'adoration
nocturne du Très-Saint-Sacrement, la réparation des injures dont Il est
l'objet». Née le 22 novembre 1848, avec l'accord du Vicaire général de
Paris, l'association d'adoration nocturne des hommes réunit pour la
première fois ses membres, la nuit du 6 au 7 décembre, dans l'église
Notre-Dame des Victoires, en union filiale avec le Pape Pie IX, réfugié
à Gaète. Dans son bonheur, Hermann se tourne vers ses amis d'hier:
«Venez donc à ce Banquet céleste, qui a été préparé par la Sagesse
éternelle. Venez, laissez là vos hochets, vos chimères... Demandez à
Jésus la robe blanche du pardon; et avec un coeur nouveau, avec un
coeur pur, abreuvez-vous à la fontaine limpide de son Amour». Peu à
peu, l'association se propage dans le monde entier; elle existe encore
aujourd'hui.
Après avoir payé ses dettes, Hermann est
libre. La grâce de Dieu
l'attire vers l'Ordre du Carmel. Dès son Baptême, il a manifesté le
désir de recevoir le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel. Entre
l'Ascension et la Pentecôte 1849, au cours d'une retraite, il lit la
vie de saint Jean de la Croix; cette découverte vient fixer ses
intentions de manière irrévocable. Le 16 juillet 1849, fête de
Notre-Dame du Mont-Carmel, il fait ses adieux à sa famille et se rend
au couvent d'Agen, puis à celui du Broussey, près de Bordeaux, où a
lieu le noviciat. Un mois après, il écrit à sa mère: «L'ordre religieux
dans lequel je suis entré, a pris naissance parmi les Juifs, 930 ans
avant Jésus-Christ: c'est le Prophète Élie de l'Ancien Testament qui
l'a fondé sur le mont Carmel, en Palestine. C'est un ordre de vrais
Juifs, des enfants des Prophètes qui attendaient le Messie, qui ont cru
en lui quand il est venu. Ils se sont perpétués jusqu'à nos jours,
vivant de la même manière, avec les mêmes privations du corps et les
mêmes jouissances de l'esprit, qu'il y a 2800 ans environ. Ils portent
encore aujourd'hui le nom de l'Ordre du Mont-Carmel. Parmi ces
religieux, on distingue ceux issus de la réforme de sainte Thérèse
d'Avila et de saint Jean de la Croix, appelés Carmes déchaussés...
C'est à cette branche que j'appartiens... Pourquoi pratiquer cette vie?
Pour imiter la vie que Jésus-Christ a menée quand Il est venu sauver
les hommes par les souffrances, l'obéissance, les humiliations, la
pauvreté, la croix... Voilà la vie que j'ai choisie».
Le 6 octobre 1849, Hermann reçoit l'habit
sous le nom de Frère
Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement. La règle du noviciat est rude.
Le frère Augustin-Marie s'y donne avec générosité. Son plus grand
sacrifice est de se priver peu à peu de fumer et de prendre du café. À
le voir et à l'entendre, on le prendrait pour le plus doux, le plus
calme, le plus aimable des hommes par caractère. Et pourtant
quelquefois, même quand il a le sourire sur les lèvres, son sang
bouillonne de colère. Il a aussi une tendance à la moquerie, due à une
perception aiguë du moindre ridicule; mais nul ne semble l'avoir
soupçonné, car durant les récréations, il se montre plein de gaieté et
de bienveillance pour ses frères, ayant volontiers Jésus pour sujet
dans ses entretiens. Il fait sa profession le 7 octobre 1850, et, le
Samedi Saint 1851, il est ordonné prêtre. En ces jours bénis, il prie
intensément pour la conversion de sa famille. Sa prière ne sera pas
sans fruits, car plusieurs de ses proches, notamment sa soeur,
embrasseront la foi catholique.
Dès juin 1852, le Père Augustin-Marie est
envoyé prêcher dans diverses
villes, notamment Lyon, Marseille, Paris, Liège, Berlin, Genève...; ses
paroles enflammées par l'amour de Dieu convertissent les âmes et les
attirent au confessionnal, à la dévotion fervente envers la Sainte
Vierge et l'Eucharistie; certains demandent le Baptême, d'autres
entrent en religion.
«Nous
ressemblons aux lépreux»
À Paris, il commence ainsi son homélie: «Mes
frères, mon premier acte,
en paraissant dans cette chaire chrétienne, doit être une amende
honorable des scandales qu'autrefois j'ai eu le malheur de donner dans
cette ville. De quel droit, pourriez-vous me dire, venez-vous prêcher,
vous que nous avons vu vous traînant dans la fange d'une immoralité
sans pudeur, et faisant profession ouverte de toutes les erreurs? Oui,
mes frères, je confesse que j'ai péché contre le Ciel et contre vous...
Aussi, je suis venu vers vous couvert d'un habit de pénitence... La
Mère de Jésus m'a révélé l'Eucharistie, je connus Jésus, je connus mon
Dieu et bientôt je fus chrétien. Je demandai le saint Baptême, et l'eau
sainte coula sur moi; à l'instant, tous mes péchés, ces horribles
péchés de vingt-cinq années de crimes, étaient effacés. Et mon âme,
aussitôt, devint pure et innocente. Dieu, mes frères, m'a pardonné...
Ne me pardonnerez-vous pas, vous aussi?» Plusieurs personnes, y compris
des anciens compagnons de débauche, touchées par cette parole, se
convertissent.
Dans tous ses sermons, le Père
Augustin-Marie manifeste son amour de
l'Eucharistie. Celui-ci lui inspire une oeuvre nouvelle. De passage à
Ars, il s'en ouvre au Curé, saint Jean-Marie Vianney: «Monsieur l'Abbé,
n'avez-vous pas remarqué qu'on est bien plus occupé de demander au
Seigneur des bienfaits, que de Le remercier pour ceux qu'on a déjà
reçus de Lui? – Oui, nous ressemblons aux lépreux qui s'en vont guéris,
sans dire merci. – Ne pourrait-on pas fonder une oeuvre qui aurait pour
but de rendre à Dieu d'incessantes actions de grâces pour le torrent de
bienfaits qu'Il verse sur le monde? – Oui, vous avez raison. Faites
cela, Dieu vous bénira».
Trois
degrés
Dans
une homélie, il développe sa pensée sur l'action de grâces: «Le premier
degré est celui du coeur: il faut y graver la mémoire des insignes
miséricordes dont le Seigneur a usé envers nous. – Le second degré nous
porte à louer, à exalter, à célébrer le bien reçu»; la prière
liturgique, en particulier le Psautier et le Te Deum, constitue la
meilleure source de l'action de grâces, car «l'Esprit-Saint lui-même en
est l'auteur». Mais «c'est par la divine Eucharistie et par Elle seule
que nous pourrons dignement nous acquitter de notre dette de gratitude
envers Dieu. Voilà le troisième et suprême degré de l'action de
grâces... Ô mon Dieu, quand je vous offre cette Hostie de louange et
d'amour, Vous faites entendre encore cette voix paternelle du haut des
cieux, qui descendit sur Jésus: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui
je mets toutes mes complaisances (Mc 1, 11)».
La conclusion pratique est la fondation à
Lyon, en 1859, avec
l'encouragement du pape Pie IX, d'une confrérie de l'action de grâces
destinée à «rendre grâces à l'Éternel de ses dons, surtout de celui qui
est par excellence le Don de Dieu, l'Eucharistie; suppléer à
l'effrayante ingratitude du grand nombre, qui oublie les devoirs de la
reconnaissance envers Dieu; remercier le Seigneur pour ceux qui ne
disent pas merci».
Conformément à l'idéal du Carmel, le Père
Augustin-Marie aspire à la
solitude profonde du désert afin de s'adonner davantage à l'oraison.
«L'important, a-t-il coutume de dire, est de ne pas prendre goût aux
choses du monde, et c'est précisément l'effet de l'oraison quotidienne
de nous désabuser sur l'agrément de toutes ces choses et d'exciter en
nous le désir de Jésus seul. Le Dieu d'amour est jaloux: il veut régner
seul, être aimé, goûté, désiré». Ayant découvert près de Tarasteix, à
20 km de Lourdes, un vaste terrain perdu dans les bois, il l'achète et
y fait bâtir des ermitages individuels. De fait, il en profitera peu.
En effet, à la demande du cardinal Wiseman, le Pape jette les yeux sur
lui pour restaurer l'ordre des Carmes en Angleterre: «Je vous envoie,
lui dit-il, pour convertir l'Angleterre, comme un de mes prédécesseurs
envoya le moine Augustin». Aucun couvent n'a encore reparu dans ce pays
depuis le schisme d'Henri VIII (1491-1547). Le 15 octobre 1863, fête de
sainte Thérèse d'Avila, le Père Augustin-Marie installe provisoirement
quelques Carmes venus de France dans une petite maison à Londres. À la
suite de ses prédications, plusieurs Anglicans expriment leur volonté
d'entrer dans l'Église catholique. En 1863, pour la première fois
depuis trois siècles, un novice anglais revêt le saint habit des
Carmes. En septembre 1864, deux ans environ après l'arrivée du Père
Augustin-Marie en Angleterre, sept maisons d'adoration y sont en pleine
activité, dont deux à Londres.
En 1868, le Père Augustin-Marie obtient
enfin de ses supérieurs la
permission de rejoindre le «Désert Saint-Élie», à Tarasteix. Cependant,
une nouvelle épreuve l'atteint: une maladie des yeux si grave qu'il va
devoir être opéré. Mettant sa confiance dans la Vierge de Lourdes, il
fait une neuvaine à la grotte des apparitions, se lavant les yeux
chaque jour à la source miraculeuse. Au neuvième jour, guérison subite
et complète: le miracle est évident. Hermann Cohen est le premier Juif
miraculé à Lourdes. Il retourne à Tarasteix où il espère bien se fixer
définitivement. Mais, l'heure de son retrait au désert ne sonnera pas:
en mai 1870, il est nommé pour trois ans premier conseiller du
supérieur provincial et Maître des novices: il se rend donc au
Broussey. Le 19 juillet de la même année, la France déclare la guerre à
la Prusse. Un mois après, le désastre de Sedan entraîne la chute du
régime napoléonien. Une haine anti-prussienne et antireligieuse
s'empare des Français.
Le populaire Carme déchaussé, vénéré et aimé
dans toute la France, est
«pourchassé de ville en ville pour sa double qualité de moine et
d'Allemand». Il se rend à Grenoble où naguère sa parole de feu lui
avait conquis les foules. On le prend pour un espion: il échappe de peu
à la mort. Finalement il arrive sain et sauf à Genève, où l'évêque lui
confie le soin d'un groupe de femmes et de personnes âgées, au nombre
de cinq à six cents, privées de tout secours religieux, qui ont fui la
France.
Mais, le 24 novembre 1870, à la demande de
l'évêque de Genève, il part
pour Berlin et obtient l'autorisation de servir comme aumônier à
Spandau, à 14 km de la capitale, où plus de cinq mille prisonniers
français manquent de vêtements, de nourriture et surtout de secours
spirituels; beaucoup sont gravement malades... Il gagne rapidement les
coeurs de ces prisonniers; s'il veille avant tout sur leurs âmes
souffrantes, sa charité se dépense pour soulager leurs pauvres corps.
Il réussit à leur faire parvenir des caisses de vêtements pour leur
permettre de résister au froid dans cette Prusse glaciale, au plus fort
de l'hiver; il obtient aussi des compléments indispensables de
nourriture. Chaque jour il célèbre la Messe et prêche devant plusieurs
centaines de soldats. Grâce à son inépuisable bonté, beaucoup viennent
à lui pour se confesser; un mois après son arrivée, 300 soldats ont
reçu la Sainte Communion... Mais à un tel régime, la santé du Père
Augustin-Marie, déjà si chancelante, se dégrade.
Un
risque mortel
Le
9 janvier 1871, il administre l'extrême-onction à deux prisonniers qui
sont atteints de la petite vérole (variole). La spatule qui sert à
oindre les agonisants de l'huile sainte manquant à ce moment-là et
l'urgence étant certaine, le Père n'hésite pas à faire les onctions de
sa propre main, malgré une écorchure au doigt, risquant ainsi sa vie
pour le salut éternel de ses deux brebis. De fait, il contracte la
maladie. Le 15 janvier, son état s'étant aggravé, il reçoit à son tour
les derniers sacrements, puis chante d'une voix ferme le Te Deum et le
Salve Regina; il récite ensuite le De profundis. Le lendemain,
lorsqu'on lui annonce que sa fin est proche, une joie indicible paraît
sur son visage. Dans la soirée du 19 janvier, il se confesse
paisiblement, et reçoit la Sainte Communion. «Maintenant, ô mon Dieu,
dit-il, je remets mon âme entre vos mains». Ce sont ses dernières
paroles. Sa respiration calme se prolonge jusqu'au lendemain matin vers
10 heures, où, pendant que la Religieuse qui le veille chante à sa
demande le Salve Regina, il expire doucement.
Le Père Augustin-Marie du
Très-Saint-Sacrement a été le chantre de
l'Eucharistie. Puissions-nous l'imiter par un fervent amour de
Jésus-Hostie, comme nous y encourage le Saint-Père: «L'Église et le
monde ont un grand besoin du culte eucharistique. Jésus nous attend
dans ce sacrement de l'Amour. Ne refusons pas le temps pour aller Le
rencontrer dans l'adoration, dans la contemplation pleine de foi et
ouverte à réparer les fautes graves et les délits du monde. Que ne
cesse jamais notre adoration!» (Jean-Paul II, lettre Dominicæ cenæ, du
14 février 1980).
Nous prions à toutes vos intentions et
spécialement pour vos défunts.